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Publié par Anne Bonew

L'arbre, ce vivant qui manque à nos politiques

POWER4trees soutient le texte de Ludovic Fortin, publié dans la Libre Belgique du 30 juin 2025. Il y dénonce avec force l'absence de politique transversale et raisonnée du patrimoine arboré de la Région et appelle, comme POWER4trees et HELP4trees à un changement de paradigme : considérer les arbres comme autant d'habitats à protéger et autant d'habitants, de Bruxellois, à protéger et préserver. 

Une carte blanche écrite par Ludovic Fortin, architecte paysagiste – arboriste conseil ET cosignée par une série de professionnels de l'arbre et de citoyens (voir la liste exhaustive* ci-dessous)

"Celui qui plante un arbre aime plus l'avenir que lui-même." — Proverbe africain.

Dans nos villes saturées de flux, de bruit et d'urgence, l'arbre est peut-être ce qu'il reste de plus stable, de plus ancien, de plus vivant. Il est là, au coin d'une rue, sur un trottoir trop étroit, au fond d'un parc. Il filtre l'air que nous respirons, régule la chaleur que nous subissons, absorbe l'eau que nous ne savons plus gérer. Il vit aussi sous nos pieds : ses racines structurent les sols, régulent l'humidité, assurent la stabilité des écosystèmes invisibles. Ce réseau souterrain, trop souvent ignoré dans les aménagements, est une condition vitale de sa santé. Il accueille oiseaux, insectes, mousses et champignons. Il apaise. Il résiste. Il tisse un lien entre la terre et le ciel.

Et pourtant, malgré son rôle fondamental, l'arbre demeure un acteur marginalisé des politiques publiques urbaines. Victime de logiques de chantier, de visions court-termistes ou de contraintes budgétaires, il est trop souvent réduit à un paramètre décoratif, voire à une gêne technique. Encore trop souvent traité comme un simple mobilier urbain, standardisé et remplaçable, l'arbre devient un être jetable, sans histoire ni attachement. Son abattage est encore autorisé plus facilement qu'un projet alternatif d'intégration. Sa valeur réelle — écologique, sociale, climatique, paysagère — n'est que rarement prise en compte de manière transversale.

Les bienfaits de l'arbre ne sont pourtant plus à démontrer. De nombreuses recherches ont documenté ses apports : il réduit les îlots de chaleur urbains de plusieurs degrés (jusqu'à 5 °C selon Gill et al., 2007), stocke du carbone (entre 10 et 40 kg de CO₂ par an pour un arbre adulte, Nowak et al., 2002), filtre les particules fines, retient les eaux pluviales. Il diminue l'anxiété, améliore la concentration des enfants, renforce les liens sociaux entre habitants. L'arbre est une infrastructure verte. Il est un pilier de la santé publique et de la justice climatique. Il est une infrastructure vivante, essentielle à la santé des villes, non pas au sens d'un ouvrage technique, mais comme une trame de soutènement du vivant.

Pourtant, sur le terrain, la gestion arborée reste dominée par des logiques technicistes et fragmentées. Trop d'arbres sont abattus sans diagnostic approfondi. Trop de décisions sont prises sans évaluation sérieuse des impacts à long terme. Les appels d'offre publics considèrent encore l'arbre comme une contrainte à contourner, plutôt qu'un élément structurant à valoriser. Les projets d'aménagement négligent les interactions fines entre sol, trame racinaire, exposition, ….

Et les services publics eux-mêmes se heurtent à une absence de gouvernance claire : entre urbanisme, mobilité, espaces verts, patrimoine ou environnement, les visions divergent, parfois jusqu'à l'absurde. Un autre problème majeur freine l'évolution des pratiques : le manque de formation cohérente et actualisée sur les sciences de l'arbre. Les savoirs ont progressé. Nous comprenons mieux l'architecture des arbres, leur dynamique de croissance, leurs capacités d'adaptation. Des approches comme la non-taille, la taille de conversion, ou les modèles de gestion différenciée sont désormais éprouvés. Mais ces connaissances peinent à s'imposer en Belgique francophone.

Ni les entreprises, ni les administrations ne sont systématiquement formées aux nouvelles pratiques. Pire : certaines procédures obligent à des gestes obsolètes, contre-productifs, voire nocifs pour la santé des arbres. On taille pour prévenir le risque, et l'on crée en réalité un affaiblissement structurel. On coupe pour anticiper, et l'on accélère le déclin.

L'arbre n'est pas seulement un habitat : il est un habitant. Un être vivant qui compose la cité avec nous. Et comme tel, il doit être reconnu comme un commun, un bien collectif à respecter, à protéger, à transmettre.

Trop souvent, les abattages sont justifiés par des promesses de replantation. Mais planter un jeune sujet ne compensera jamais la perte écologique, paysagère et sociale d'un arbre adulte. La logique compensatoire, si elle n'est pas ancrée dans une vision de long terme et de soin, devient un alibi.

Il est donc plus que temps de changer de paradigme. Nous appelons à une véritable politique du vivant arboré : ambitieuse, transversale, durable. Cela implique : – De reconnaître l'arbre comme un sujet du projet urbain, et non comme un objet de gestion technique. – D'intégrer les arbres existants dès la phase de conception, pas en fin de projet comme une variable d'ajustement. – De créer des plans de gestion arborée à long terme, transparents, publics, évolutifs. – De rendre obligatoire l'analyse de la valeur écologique, sociale et patrimoniale des arbres dans les documents d'urbanisme. – De former les agents, élus, concepteurs, entrepreneurs à l'état de la connaissance actuelle sur les sciences de l'arbre. – De créer des chartes locales de l'arbre, co-construites avec les citoyens, les experts, les enfants. – D'accorder un budget spécifique à l'arbre, non dépendant des lignes budgétaires de la voirie ou des espaces verts.

Mais au-delà des outils, c'est un regard qu'il faut changer. Une posture. Penser avec les arbres, et non contre eux. Habiter la ville comme un écosystème partagé. Reconnaître que le vivant ne se décrète pas, qu'il se respecte, se comprend, se soigne. Revaloriser la lenteur, la continuité, la mémoire végétale. Offrir à nos enfants non seulement des bancs, des routes, des réseaux… mais aussi de l'ombre, des racines, des présences silencieuses et puissantes. L'arbre nous précède et nous survivra. À condition que nous cessions de le considérer comme une variable d'ajustement.

Assez de demi-mesures !

Il ne suffit plus de parler de nature en ville, de planter des arbres pour les campagnes électorales ou d'orner les documents d'urbanisme de promesses vertes. Tant que les arbres continueront d'être abattus sans vision, tant que la gestion du vivant sera confiée à des logiques budgétaires, tant que les services resteront cloisonnés et les savoirs non partagés, nous échouerons. Nous échouerons à faire de nos villes des lieux habitables. Et ce n'est pas l'arbre qui en paiera le prix : c'est nous. Il est temps que les institutions et les politiques prennent leurs responsabilités. Qu'ils sortent des logiques de façade. Et qu'ils s'engagent, réellement, durablement, pour l'arbre vivant, enraciné, cohabitant. Car ce combat n'est pas symbolique : il est vital !

Il est temps de lui faire une place pleine et entière dans la fabrique des territoires.

* Liste des co-signataires :

François Van Wetter (Chef d'entreprise et arboriste), Paul Gourgue (Arboriste conseil), Dominique de baere (Arboriste conseil), Antoine Laurent (Tree manager), Anne Bonew (Citoyenne), Power4Trees (Association citoyenne), Julien Paps (Paysagiste et arboriste), ARBORESCO asbl (L'association des artisans de l'arbre), Lydiane Bruyère (Bioingénieur foresterie), Arnaud Van Blommen (Architecte paysagiste), Vincent Zinzen (PhD, Bioingénieur et arboriste), Gilles Lacroix (Bioingénieur Nature, eaux et forêts), Cyrille Boland (Bioingénieur en gestion des forêts et espaces naturels), Anne Lenain (Citoyenne engagée), Valérie De Smet (Citoyenne), Guy Castadot (Ingénieur eaux et forêts, coordinateur comité de quartier Mediapark), Eliane Cloes (Citoyenne), Yannick Laurent (Citoyen), Fanny Vinet (Citoyenne), Sauvegardons Nerpeede (Association de fait), Agnès L. (Citoyenne), Mireille Roillet (Citoyenne), Christina Geens (Citoyenne), Alexia Van Craeynest (Citoyenne), Alain Boom (Docteur en médecine – Professeur émérite), Alain d'Ursel (Citoyen), Bryce Vandystatd (Citoyen), Anne Bleyenheuft (Citoyenne), Bruno Dekeijser (Citoyen), Bruno De boni (Citoyen), Catherine de Frescheville (Naturaliste), Michèle Rooseleir (Citoyenne engagée), Marie-Cécile De Schouwer (Citoyenne), Collectif de Défense des Arbres (Association de fait), Georges Dassesse (Citoyen), Charles – Emmanuel Corbisier (Citoyen Architecte), Manoelle Hopchet (Citoyenne), Denis Salmon (Président CPN Brabant), RAMUR asbl (Association), Dominique Rozenberg (Citoyenne), Elisabeth Fauville (Citoyenne et guide nature CNB), Emma Cosyn Oger (Citoyenne), Bernadette Bienfait (Citoyenne Médecin), François de Coninck (Citoyen), Béa Suys (Citoyenne), Catherine Gérard (Citoyenne), Carole Segers (Citoyenne et conteuse), Michael Pontégnie (Expert forestier), Chantal de Brauwere (Présidente de comité de quartier, administratrice ACQU), Christine Duquesne (Citoyenne), CCN Vogelzang CBN (Association Nature), Geneviève Kinet (Citoyenne), La Minute Sauvage (Photographe animaliste), Jean-Baptiste Godinot (Citoyen), We Are Nature Brussels (Mobilisation citoyenne) Karin Stevens (Citoyenne active dans la défense des arbres) Bruno Campanella (PhD – Ingénieur agronome, arboriste conseil).

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