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Publié par Anne Bonew

L'ère de l'arbre jetable

Billet d'humeur écrit et publié (en NL et en EN) à l'occasion de l'enquête publique relative au projet de réaménagement du parc de Neerpede.

TEXTE INTEGRAL

 

Morituri te salutant. L’ère de l’arbre jetable

La Région de Bruxelles Capitale se propose de transformer l’actuel Parc de Neerpede à Anderlecht en centre récréatif. Le projet de 9 Mio €, porté par Bruxelles Environnement, devrait se dérouler en plusieurs phases, dont la première est entre les mains de la commission de concertation qui n’a pas tranché : la Commune d’Anderlecht a émis un avis négatif, URBAN brussels a émis un avis positif sous conditions. OUI au meilleur entretien de cette poche de verdure actuelle mais quid de la logique prônant l’abattage de 32 arbres sains pour faire place à des chemins et un pavillon qui n’existent pas encore et d’en replanter 51 autres à titre compensatoire ? Nos élus bruxellois, régionaux et communaux, à la manœuvre nous plongent-ils dans une nouvelle ère ? Celle de l’arbre jetable ?

 

Quand « renaturalisation » veut dire « destruction »

Posons-le d’emblée : les étangs de Neerpede, sont une création artificielle datant des années ‘80 qui, en près d’un demi-siècle, s’est réensauvagée sans l’intervention de l’homme, en parfaite symbiose et résilience avec le Pajottenland voisin et le ring périphérique, environnement urbain et polluant, s’il en est.

Dans ces conditions, parler de « renaturalisation » du site (comme nous le communiquent les autorités) est un non-sens et témoigne d’une méconnaissance naïve de la situation historique réelle. Les interventions proposées par Bruxelles Environnement doivent donc être qualifiées de destruction pure et simple. Destruction de 32 arbres sains et toute la faune et de la flore qui s’y sont installées spontanément (comme au Marais Wiels depuis 15 ans). Destructions destinées à, nous citons, « créer de l’espace afin de pouvoir aménager toute une série d’habitats typiques de milieu humide... » Encore un non-sens : ces espaces existent en ce moment. Une faune riche y réside. Pourquoi détruire ce qui s’est construit organiquement pour y implanter un ersatz ? Destructions destinées à permettre « des interventions paysagères » qui contribueront à doter le Parc de Neerpede d’une baignade « naturelle », élément principal d’un pôle de loisirs qui s’étendra sous le pont du Ring (prévu dans une phase ultérieure du projet). Quand on sait qu’en Région bruxelloise pas moins de 4 autres projets de piscines en plein air sont sur la table (sur les toits des Abattoirs d’Anderlecht, sur le site Beco à Tour et Taxis, les piscines temporaires de Flow (via PoolisCool) dans le canal, au Quai des Pénicheson doit se poser la question : mettre en péril un écosystème précieux au lieu de re-verduriser le béton de la ville, est-ce bien nécessaire ?

Massacre à la tronçonneuse

Larchitecte paysagiste du projet, quand il dessine ou redessine des chemins, et que ceux-ci rencontrent des arbres, n’hésite pas : il les abat. Il choisit de brandir sa tronçonneuse pas moins de 11 fois. 11 arbres parfaitement sains, âgés de 17 à 45 ans, autant dire de jeunes arbres, massacrés et voués au statut de bûches sous prétexte qu’ils font « obstacle au futur chemin ». Nous osons à peine écrire ceci tant c’est une évidence, que semble néanmoins méconnaître l’architecte maître d’œuvre : les arbres sont enracinés, fixes au sol et ne bougent pas. Par contre, les chemins, a fortiori, lorsqu’ils ne sont encore qu’idée, sont eux, parfaitement capables de circonvolutions et de les contourner. Ou encore, on pourrait imaginer déplacer les arbres.

Ce choix est d’autant plus incompréhensible qu’il est démontré que la présence d’arbres à hautes tiges diminue l’utilisation de médicaments pour les troubles cardiovasculaires et mentaux. « Vous ne pouvez pas tout remplacer, lance aux urbanistes le professeur Aerts, de la KU Leuven qui a mené l’étude. De nouveaux arbres peuvent certainement être plantés, avec plaisir même. Mais laissez les vieux arbres autant que possible : ils ne peuvent pas être compensés.» Si le projet de Neerpede est déroulé tel quel, il ne nous restera plus que nos larmes et des plaquettes d’anti-dépresseurs pour nous en remettre.

Un arbre de 57 ans sacrifié à l’autel d’un pavillon pour baigneurs

Que dire, enfin, de l’abattage prévu du Salix matsudana, majestueux et solitaire  ? Un saule tortueux qui trône en bordure de chemin. Cet être vivant a le malheur de se trouver pile à l’endroit où le paysagiste pense planter le pavillon d’accueil pour baigneurs. Nous ne nous étendrons pas sur l’opportunité de cette baignade qui, avec ses pompes de filtration de l’eau, n’a de « naturelle » que le nom, tant l’énormité d’une telle décision nous stupéfait. Rien ne justifie de sacrifier un tel arbre pour l’édification d’une construction humaine : comment peut-on, à l’heure où la question de la coexistence du végétal est au centre de toutes les préoccupations urbanistiques, présenter un projet qui se vend comme protecteur et même créateur de biodiversité (ce qui, en soi, est déjà bien prétentieux) et en même temps proposer d’abattre un arbre solitaire et emblématique pour une construction qui peut aisément être placée à quelques mètres de là ? Ou pourquoi ne pas envisager de l’intégrer à même la construction ? Un projet fort est un projet cohérent. En l’occurrence, ce n’est pas le cas, nous nageons en pleine contradiction.

La triple arnaque du green remplacement

D’autres malheureux, sont prévus à l’abattage, au total, 22 arbres sains, et, dans un sursaut de verte bonne conscience, on entend, lors de la session d’information sur le projet, Bruxelles Environnement se féliciter de compenser l’abattage prévu par la plantation de 51 jeunes arbres. Ceci est d’une confondante naïveté. Nous ne le dirons pas mieux que le botaniste, biologiste et dendrologue français Francis Hallé : « c'est une triple arnaque. Patrimoniale, car le vieil arbre était considéré comme un monument aux yeux des habitants. Financière, car le vieil arbre ne coûtait rien, tandis que les dix jeunes vont coûter très cher, à planter et à entretenir. Enfin écologique, car il faudra 25 ans pour que les 10 jeunes arbres remplaçant le vieux atteignent une performance équivalente en matière d’épuration atmosphérique. »

Pourtant, un chemin qui contourne un arbre, une construction qui l’incorpore, inspire l’arrêt, la réflexion. Prendre soin d’éviter l’arbre permet d’induire chez le promeneur un sentiment de respect et de lui faire prendre conscience de son importance, puisque l’être humain modifie son parcours en fonction de sa présence. Somme toute, d’éduquer à l’écologie.

Morituri te salutant

Au final, ce projet de réaménagement du Parc de Neerpede porté par Bruxelles Environnement, dans sa dimension arboricole, est un raté au niveau sociologique (en ce sens qu’il rate sa mission éducative), un raté au niveau écologique (on ne remplace pas d’anciens arbres par de plus jeunes) et consacre la réussite de la société de consommation : 22 arbres sains, représentant collectivement 1 500 années de contribution à la qualité de l’air de Neerpede et à son paysage typique , vont mourir. Pour faire place à une tentaculaire chimère de tourisme urbain vert que Bruxelles Environnement tente d’imposer au mépris de ses habitants. Flore, faune et humains. Alors que les écoles ont urgemment besoin d’être rénovées. Que les transports publics végètent. Que les soins de santé sont exsangues. Que la pauvreté ne fait qu’augmenter en ville.

Bienvenue à l’ère de l’arbre jetable.

Ils sont jeunes et vigoureux. Ils sont 32. Ils ont un nom. Ils vont mourir pour la Région de Bruxelles Capitale sur le champ de bataille de Neerpede :

 

(Obstacle futur chemin)

  • Alnus glutinosa, 80 cm de circonférence, 15 m de hauteur, 26 ans

  • Liquidambar styraciflua, 50 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 17 ans

  • Fagus sylvatica, 100 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 33 ans

  • Fagus sylvatica, 135 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 45 ans

  • Sorbus intermedia, 78 cm de circonférence, 5 m de hauteur, 26 ans

  • Sorbus intermedia, 95 cm de circonférence, 15 m de hauteur, 31 ans

  • Fraxinus excelsior, 90 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 30 ans

  • Populus, 92 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 30 ans

  • Platanus hispanica, 104 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 34 ans

  • Tilia cordata, 71 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 23 ans

  • Tilia cordata, 88 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 29 ans

(Emplacement futur pavillon d’accueil)

  • Salix matsudana, 173 cm de circonférence, 15 m de hauteur, 57 ans

(Renaturalisation des berges)

  • Sorbus intermedia, 86 cm de circonférence, 5 m de hauteur, 28 ans

  • Salix caprea, 95 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 31 ans

  • Acer pseudo-platanus, 117 cm de circonférence, 15 m de hauteur, 39 ans

  • Salix alba, 175 cm de circonférence, 15 m de hauteur, 58 ans

  • Salix alba, 178 cm de circonférence, 15 m de hauteur, 59 ans

  • Sorbus intermedia, 83 cm de circonférence, 5 m de hauteur, 28 ans

(Renaturalisation des berges)

  • Sorbus intermedia, 81 cm de circonférence, 5 m de hauteur, 27 ans

  • Quercus robur Fastigiata, 37 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 12 ans

  • Quercus robur Fastigiata, 33 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 11 ans

  • Quercus robur Fastigiata, 42 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 14 ans

  • Quercus robur Fastigiata, 37 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 12 ans

  • Quercus robur Fastigiata, 44 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 14 ans

  • Quercus robur Fastigiata, 46 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 15 ans

  • Quercus robur Fastigiata, 35 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 11 ans

  • Quercus robur Fastigiata, 43 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 14 ans

  • Populus x canadensis, 91 cm de circonférence, 15 m de hauteur, 30 ans

  • Populus x canadensis, 215 cm de circonférence, 20 m de hauteur, 71 ans

  • Populus deltoides, 68 cm de circonférence, 10 m de hauteur, 22 ans

  • Populus x canadensis, 298 cm de circonférence, 25 m de hauteur, 30 ans

(Mise à ciel ouvert d'une portion du Neerpedebeek)

  • Salix alba, 150 cm de circonférence, 15 m de hauteur, 50 ans

 

Anne Bonew
Anderlecht, 25 juin 2023

 

AUTEUR(S) Anne Bonew

DATE 2023 06 25

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