Forêt expérimentale Nassonia
Environnement Le projet de la "forêt expérimentale" Nassonia, résultat dʼune collaboration entre la Région wallonne et la Fondation Pairi Daiza, a été lancé il y a cinq ans sur quelque 1 700 hectares. Plusieurs centaines dʼhectares ont déjà été restaurés.
LLB, 16/12/2023 Sophie Devillers
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Bienvenue à Nassonia" : à la sortie du hameau de Mochamps - quelques maisons de pierre blotties à la lisière des arbres -, lʼarrivant est prévenu par un panneau quʼil pénètre dans une forêt pas tout à fait comme les autres en Région wallonne. Il y a quelques mois, le promeneur, en avançant sur le chemin principal traversant ce massif forestier luxembourgeois, aurait été encadré par deux hauts murs sombres dʼépicéas. Désormais, les résineux ont disparu, laissant la place à des pousses de quelques dizaines de
centimètres de haut qui arborent quelques feuilles.
Cette transformation de la lisière est lʼun des éléments les plus visibles du plan dʼaménagement mis en œuvre dans cette "forêt expérimentale", résultat dʼune collaboration entre la Région wallonne et la Fondation Pairi Daiza lancée il y a cinq ans sur quelque 1680 hectares. "Notre objectif, cʼest de restaurer un milieu, de redonner une résilience à la forêt et de développer une forêt laboratoire afin de proposer des
solutions face aux changements climatiques. Nous voulons également retrouver un espace naturel qui soit enchanteur pour les visiteurs", résume Stéphane Abras, chef de cantonnement de Nassogne au Département de la Nature et des forêts de la Région wallonne.
Si lʼélaboration du plan de gestion et dʼaménagement pour Nassonia a pris plus de deux ans, lʼéquipe a déjà pu mener à bien la restauration de quelque 200 hectares : creusement de mares, restauration de landes à bruyères, de prairies naturelles, améliorations de plantations… Entre autres, 15 km de réseau de haies et lisières ont été créés, avec plus de 40 000 plants. "Si vous revenez dans cinq ans, vous verrez quʼil y a làdedans du bouleau, de lʼérable, du sureau, du sorbier… Un peu plus loin, on a même du framboisier qui est revenu tout seul", détaille le naturaliste Gérard Jadoul, en montrant la lisière fraîchement plantée à la place des épicéas. "Il y a un côté artificiel mais y arriver naturellement aurait peut-être pris deux cents ans ! Là, on donne un coup dʼaccélérateur, se réjouit Stéphane Abras. Les épicéas ont peu dʼattractivité. En revanche, cette lisière étagée va donner pas mal de fleurs et de fruits. Le paysage sera beaucoup plus adouci. Et tous ces arbustes vont également attirer oiseaux et insectes et
vont pouvoir aussi être mangés par la grande faune."
Les cervidés pourront en outre aller se désaltérer juste à côté, dans les deux grandes mares sur le point dʼêtre creusées dans la grande clairière. Cette zone est pour lʼinstant recouverte dʼherbe de savane jaunâtre - la molinie - mais lʼéquipe de Nassonia espère également y faire revenir la bruyère, grâce aux travaux dʼétrépage en cours, consistant à ôter la couche superficielle du sol. "Lʼidée est de semer la bruyère. Tout ce haut plateau de Saint-Hubert-Nassogne était anciennement couvert de bruyère, qui est un habitat extrêmement riche en termes de biodiversité pour des butineurs, puis pour les oiseaux
qui mangent des butineurs etc.", précise Gérard Jadoul, administrateur délégué dʼEcofirst, la coopérative dʼexperts mandatée par la Fondation Pairi Daiza pour la gestion de Nassonia. Lʼidée générale à Nassonia, cʼest ʻlaisser faire la nature, sinon agirʼ. Dans les trois grandes fonctions quʼon reconnaît souvent à une forêt - économique, sociale et environnementale - la demande du Gouvernement wallon dans le contrat était de mettre le curseur au maximum sur lʼaspect environnemental. Il sʼagit en fait redonner à la nature la possibilité dʼévoluer toute seule : de se restaurer mais là où elle est déjà en capacité, la laisser faire."
Pour Stéphane Abras, arriver à cette étape de laisser-faire sur la grande majorité de la forêt pourrait prendre deux décennies. Car même si cette forêt appartenant à la Région wallonne a déjà fait lʼobjet de plusieurs projets de restauration et que lʼaspect économique y a toujours été plus en retrait quʼailleurs, il reste pas mal dʼerreurs à corriger, juge le chef de cantonnement. "Lʼenrésinement, cʼest lʼessentiel des soucis ici.
Cela fait 100 à 200 ans quʼon pratique une sylviculture qui nʼest peut-être plus en adéquation avec lʼenvironnement aujourdʼhui. Les monocultures ne tiennent plus face au climat. On a toujours favorisé ici le hêtre et lʼépicéa, essences économiquement très intéressantes mais qui commencent à avoir leurs limites, vu les maladies, accentuées par le dérèglement climatique… À présent que ces espèces sont malades, la forêt est un peu malade aussi. Donc il faut rediversifier ce milieu pour obtenir une forêt plus résiliente. Auparavant, on éliminait systématiquement des essences comme les bouleaux, les saules, les sorbiers, qui nʼavaient pas de valeur économique. Mais il faut leur redonner plus de place. Au niveau économique, le bouleau, sur les hauts plateaux comme ici, cʼest une essence dʼavenir. On peut faire des charpentes, des chevrons en bouleau… Il nʼexiste pas encore de filière en Wallonie, mais les Finlandais en ont une, par exemple. Pour lʼaménagement de ces essences, le forestier doit être fainéant. De plus en plus, il faut profiter de la régénération naturelle, cʼest -à-dire des graines qui ont
poussé dans le sol régional -local même - qui auront donc une adaptabilité au changement climatique plus importante."
Et bien que la plupart des Belges - y compris les locaux ! - considèrent les lignes de crêtes couvertes de résineux comme le paysage typique des Ardennes, celui-ci nʼest apparu quʼil y a un siècle, via les plantations. Dans le cadre du projet Nassonia, il ne restera que 15 % de ces peuplements. Neuf hectares ont déjà été mis à blanc, et convertis en boulaies-chênaies diversifiées, à lʼinstar de cette zone dʼépicéas située à huit cents mètres de lʼentrée de la forêt, attaquée par les scolytes et remplacée par un mélange dʼune dizaine dʼespèces. "On restaure ainsi les milieux typiques de ces hauts plateaux ardennais. Le bouleau et le chêne sont les essences typiques de ces milieux", souligne Stéphane Abras. Au fond de la vallée - on passe de 520 mètres à 230 mètres dʼaltitude -, le paysage a lui aussi été transformé. La Masblette, qui figure parmi les rivières plus préservées de Wallonie, serpente désormais au creux de pentes couvertes de feuilles mortes, dʼoù tous les petits hêtres ont été coupés. Les plus gros suivront. "Tout avait été envahi par les hêtres, ce qui banalise le milieu et étouffe lʼaulne, le frêne ou lʼérable qui devraient normalement pousser ici… Il y a à présent de la place pour que ces essences importantes se ressèment. Les animaux trouveront le long des corridors des cours dʼeau une forêt diversifiée", précise Gérard Jadoul.
Près de 55 hectares de forêts alluviales, habitat prioritaire de la Commission européenne, ont ainsi été restaurés. "Ce quʼon fait ici à Nassonia, cʼest exactement ce que la nouvelle Loi européenne de restauration de la nature (lire ci-contre) vise, se réjouit Antoine Lebrun, directeur de la Fondation Pairi Daiza. En termes de travail qui a été mené, cʼest ce que la loi poursuit : améliorer lʼétat biologique, lʼétat de conservation, des milieux qui sont protégés. Évidemment, la loi ne vise pas ce qui a déjà été fait mais ce qui se fera à lʼavenir."
À travers le massif, les premiers inventaires montrent que la cigogne noire, les grenouilles vertes et rousses, la pie-grièche, les papillons ou encore les chauves-souris sont présentes. Un état des lieux devra être à nouveau réalisé dans les prochaines années afin dʼanalyser lʼeffet des restaurations. Les trois hommes estiment cependant que Nassonia est déjà capable dʼaccueillir le loup ou le lynx, espèces de retour en Wallonie.